Luba, Statue cultuelle.

Luba, Statue cultuelle.

Date 
fin du XIXe siècle
Dimensions
Hauteur : 54 cm
Collection
Art Tribal
État 
remarquable
Numéro d'inventaire
454
Prix 
sur demande / on request
Paiement en plusieurs fois possible sur demande.

François Neyt, moine bénédictain du Monastère de Saint-André de Clerlande (Ottignies - Louvain-la-Neuve, Belgique), né à Likasi au Zaïre, a vécu pendant vingt ans en Afrique. 

Docteur en philosophie et lettres de l'Université catholique de Louvain, formé à l'archéologie et à l'histoire de l'art, il a été professeur d'arts africains à l'Université nationale du Zaïre (Campus de Lubumbashi).

Nous reproduisons ici l'étude réalisée par François Neyt, dans le texte. 

 

Contexte historique et culturel

La naissance du royaume luba vers le XVIe siècle se développer au centre de la dépression de l’Upemba : ce sont les Luba centraux, plus connus sous le nom de Luba Shankadi. Les Luba Kasaï (Luba occidentaux) s’étendent vers l’ouest ; les Luba orientaux habitent au nord et à l’est de la dépression de l’Upemba. Ils ont étendu leur influence jusqu’au lac Moero en remontant les rives de la Luvua et au-delà de la rivière Lukuga, exutoire du lac Tanganyika. Le prince Buki, exilé par le roi Kumwimbe Ngombe qui régna de 1810 à 1840, multiplia les signes de pouvoir, accordant aux grands chefs locaux de se parer des regalia : sceptres, sièges à caryatide, effigies cultuelles et ancestrales. 

 

Les arts luba illustrent à profusion le corps de la femme debout, assise, jambes tendues, accroupie et agenouillée. Elle est là pour transmettre la vie et les traditions luba. Sculpter son corps tout entier ou son visage est un acte relevant de la plus haute spiritualité, car à travers sa représentation se traduisent les croyances et l’histoire d’un peuple. Les sculptures se répartissent selon les trois domaines suivants : la femme et le sacré ; la femme et le politique ; la femme et le quotidien. En effet elle est le support des énergies et des forces des esprits ancestraux qui habitent et traversent l’univers. Elle est à l’œuvre, de façon secrète, dans la vie politique du royaume, comme dans celle des chefs locaux et des villages ; elle se présente dans la vie de tous les jours comme la garante du présent et de l’avenir, tout en veillant sur la mémoire des rois et des chefs défunts. 

 

Des figurines féminines et des porteuses de coupe s’inscrivent dans le premier thème présenté : la femme et le sacré. Plusieurs sculptures féminines, plus rares quand on considère l’ensemble de la production luba, illustrent la femme et les génies Vidye, forces du cosmos et présence des ancêtres. Elle est présente dans une plénitude des formes, expression de force contenue et d’intériorité, coiffure raffinée, yeux souvent mi-clos ouverts sur un autre monde, scarifications et lignes sensuelles, mains sur les seins, prêtes à accueillir les esprits, à les attirer et à invoquer leur présence. Les porteuses de coupe, signes importants des traditions divinatoires luba, constituent un autre signe original de l’identité féminine, support et vecteur de forces mystiques venues d’ailleurs. Une femme agenouillée ou assise serre entre ses mains et ses genoux une calebasse ou une coupe de divination.

 

Celle-ci est souvent emplie de poudre blanche, le mpemba, propre à appeler, invoquer, supplier les esprits et les génies (vidye) de l’univers de venir répondre à son intercession. Les ateliers de production sont nombreux ; les traits morphologiques et stylistiques se reconnaissent dans la posture globale de la femme, la position des jambes et même des pieds repliés sous les talons, la coiffure, les scarifications, la forme de la coupe. Les exemples présentés sont significatifs de certains ateliers et les illustrent admirablement. La nomenclature des porteuses de coupe oscille principalement entre deux noms : kabila et mboko. Kabila signifie littéralement « celle qui implore, celle qui appelle ». La voyante convoque les esprits et les génies qui habitent l’univers et les supplie de lui répondre. L’autre terme est Mboko, qui signifie le bras. Cette image du corps humain relie les hauteurs du ciel à la profondeur de la terre : par ses bras rendus tenant la coupe, la femme luba semble briser la voûte étoilée du ciel et convaincre les génies vidye à résider un instant dans le réceptacle de la coupe pour répondre aux questions actuelles. D’autres instruments apparaissent lors de la divination : statuettes, coupes, calebasses, pots en terre, cadres divinatoire et mortiers céphalomorphes. 

 

Dans l’univers politique, autre thème de présence, la femme garde un rôle éminemment confidentiel à l’ombre du pouvoir. De nombreux regalia témoignent de sa présence : lance, porte-flèche, hache ou herminette d’apparat, sceptre, siège à caryatide. Il n’est pas étonnant enfin, troisième thème, que la femme soit suggérée sur des objets d’usage quotidien : peignes, épingles à cheveux, amulettes en ivoire ou en bois… Dans l’univers symbolique luba, elle est vraiment celle qui fait advenir la vie ; elle est le passage obligé des esprits, des génies et des ancêtres. 

 

La représentation féminine chez les Luba apparaît dans le domaine cultuel et de la divination. Elle veille de façon plus secrète sur l’intégrité de la personne royale, du royaume et de chaque village. Elle joue incontestablement un rôle économique, social et politique. Elle apparaît enfin dans le cycle du jour et de la nuit, du retour de la nouvelle lune et des saisons, dans le cycle de la vie et de la mort. La représentation féminine s’affirme toujours comme un secret initiatique. Elle est la porte qui ouvre sur une réalité insaisissable touchant au mystère de l’existence. 

 

Provenance : 

Collectée à Kamina au Katanga, cette statue a appartenu à M. Augustin Becquet, ingénieur-agronome et Directeur à l’INEAC et ingénieur des mines à l’Union Minière du Haut Katanga (UMHK). En 1918, il fait ses études à l’Université catholique de Louvain et est diplômé en 1921. 

Engagé à Tschikapa, au siège de la Forminière, il est envoyé en 1924 dans la région de Kanda-Kanda chez les Kanyok. De nombreuses missions lui sont confiées à Bukama, à Kamina et à Mutombo-Mukulu (près de Kaniama). Après un congé en Belgique, il rentre au Congo en octobre 1930. Pendant la guerre, il se réfugie en Angola pour ensuite revenir à l’INEAC. Cette statue est demeurée par descendance dans sa famille. Sur le socle de base dont les cercles de croissance sont très anciens se lisent des lettres et des chiffres peut être liées au nom de A. Becquet. 

Collection Patric Claes.

 

Description : 

Taillée dans un bois mi-lourd, cette statuette féminine est en posture debout, les mains posées sur le ventre. Le bois est couvert d’une patine sombre sur la tête et l’ensemble du corps ; elle est plus claire autour des reins qui devaient porter un pagne. 

 

L’effigie, rare chez les Luba, à 54 cm de hauteur. Le visage ovoïde aux formes pleines développe le volume du front, signe de sagesse et de connaissance/ Les cavités oculaires sont creusées en amande et sont surmontées d’un sourcil saillant. L’œil mi-clos accentue le volume légèrement globuleux de la paupière supérieure. Le nez triangulaire, à la jonction des arcades sourcilières, présente une arête droite et des ailes nettement développées. Quant à la bouche, prognathe, elle s’inscrit dans une large ovale, les lèvres charnues, la langue apparente. Le pavillon de l’oreille est quasi circulaire laissant apparaître le tragus saillant au centre. 

 

Un diadème frontal, décoré de petites rainures parallèles inscrites entre deux courbes saillantes formant son armature qui retient une coiffure circulaire qui se creuse au plan dorsal. Jadis, dans la tradition orientale des Tabwa, des Tumbwe et des Hemba, cet espace concave servait au chef de village pour y déposer les graines qui servaient à la prochaine culture après la saison sèche. Ces graines étaient placées dans un petit sachet en raphia aux formes rectangulaires comme le montre plusieurs effigies d’ancêtres hemba. 

 

La coiffure cruciforme relie deux grandes tresses horizontales et bombées passant au-dessus de deux tresses verticales. Chaque tresse se compose de deux rangées de chevrons reliant à une ligne centrale. L’espace protégé par ces tresses est remarquable. Le cou d’allure cylindrique et marqué de deux renflements porte le collier traditionnel fait de perles en pâte de verre blanches et d’un bleu sombre. Le plan des épaules est épannelé, horizontal, reflétant déjà par la posture du haut des bras des dimensions isométriques. 

 

Le corps épouse un volume qui s’arrondit à l’avant et s’épanouit en bulbe au niveau du ventre, révélant la femme enceinte au nombril proéminent s’achevant en pastille. Les seins piriformes et oblongs sont généreux et tombent jusqu’à l’intersection du coude. Les bras, légèrement écartés, enveloppent le tronc et les avant-bras se prolongent par une main réaliste posée de part et d’autre de la zone ombilicale. Notons les doubles chéloïdes curvilignes superposés de chaque côté du bas-ventre annonçant les trois chéloïdes du bas ventre qui s’achèvent par les petites lèvres ouvertes vers le bas. Rappelons que les chéloïdes sont des incisions dans lesquelles sont placées du charbon de bois (malaka) qui sont recouvertes et fermées. 

 

Le dos est également remarquable par la colonne vertébrale creusée et deux traits curvilignes stylisant les omoplates. Au niveau des reins apparaît un triangle composé des petits losanges en forme e V reflètent le moment où la nouvelle lune vient féconder la terre et la femme, comme le losange exprime la rencontre du ciel et de la terre. Au-dessus du triangle, trois petites scarifications verticales et enflées sont placées de chaque côté. 

 

Le fessier arrondi se prolonge par des membres inférieurs d’allure cylindrique. Ceux-ci reposent sur de grands pieds en raquette aux doigts dessinés. Le socle est cylindrique et plat. 

 

Usage, style et datation

Les effigies féminines sont rares. Le contexte culturel dans lequel elles sont placées permet de mieux cerner leur utilisation et leur signification. Il faut d’abord relever deux aspects : 

  • Chez les Luba centraux, la femme pose ses mains sur les seins en signe de fécondité : elle est la femme nourricière. C’est elle qui nourrit son enfant, mais aussi son peuple ; c’est elle qui est l’intermédiaire entre les génies vidye, les forces de la nature et les ancêtres. C’est à travers elle que passe la vie. 
  • Chez les Luba orientaux, la femme met souvent les mains sur son abdomen, veillant sur l’enfant qu’elle va mettre au monde. Elle est féconde et parturiente. Cette attitude de protéger l’enfant est traditionnelle chez les Hemba où les figures d’ancêtre posent habituellement la main près de la zone ombilicale. C’est un signe que le chef du village ou es clans concernés protège les siens et veille sur eux. 
  • Une troisième interprétation est possible, liée à la divination ou à un culte : l’effigie féminine enceinte est vénérée pour protéger les femmes qui vont accoucher, favoriser la fécondité (perceptible dans les chéloïdes et les scarifications), éviter la maladie et la mort. 

 

Il est utile de rappeler que les masques kifwebe chez les Luba sont sources de discernement et apparaissent lors des néoménies pour favoriser la fécondité de la femme et la mettre en rapport avec les esprits bénéfiques. S’agit-il dans la statue luba présentée d’une princesse liée à la statuaire d’ancêtre, ou d’une femme qui jouit d’une autorité magico-religieuse, voyante ou devin, signe cultuel de protection. 

 

C’est plus probable et fréquent chez les Luba. Dans ces cas, il s’agirait d’une effigie cultuelle. Mais il est difficile de préciser à quel culte la sculpture remonte. 

 

D’autres signes sont significatifs de la localisation de cette effigie féminine luba. C’est le développement des organes génitaux. Chez les peuples lubaïsés près des sources de la Luvua, des sièges à caryatides présentent des femmes sculptées dont le sexe est posé à même le sol, reliant la fécondité de la femme à celle de la terre et de l’agriculture. Le porte-flèche réalisé par le Maître de Sopola a de nombreux traits morphologiques comparables : coiffure quadrilobée, yeux en amande, les seins piriformes, les scarifications abondantes, les chéloïdes autour du sexe. 

 

Cette statue féminine nous paraît proches des effigies d’ancêtres fréquentes en pays hemba. Elle porte en elle toute la magie bienveillante des Luba orientaux. La datation peut être établie au début du XXe siècle. 

 

Nous pouvons donc situer la sculpture féminine dans la région de Kiambi sur la haute Luvua, à quelques kilomètres du lac Moero. Cette région possédait des ateliers de sculpture remarquables. 

 

 

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